Nous arrivons au Honduras par la région de Copán, avec un arrêt de quelques jours dans la ville du même nom pour visiter les ruines mayas au milieu des perroquets « guacamayas ». Nous retrouvons avec plaisir le goût des fameuses « baleadas », une grande tortilla de farine de blé roulée et fourrée de « frijoles revueltos » (purée de haricot noir), avec de l’avocat, des œufs et des « platanos » (banane plantain). Un vrai délice. Alors que nous sommes heureux de constater que les honduriens sont toujours aussi accueillants, beaucoup de nos ami.e.s et familles s’inquiètent de nous voir traverser le Honduras.
En effet, lorsque nous sommes à Copán, la première « caravane » de migrants honduriens vient d’arriver à Tijuana, au Mexique à la frontière avec les États-Unis. Nombreux sont ceux qui ont alors appris l’existence de ce pays d’Amérique centrale avec cette nouvelle « crise » des migrants. Les Honduriens au contraire, ne nous en parlent pas, et sont même amusés d’apprendre quand nous échangeons avec eux, que la majorité des habitants des pays dont nous venons n’ont entendu parler de leur pays que depuis que la « caravane » en est partie.
Nous sommes au Guatemala, à remonter tout juste sur nos vélos, au moment du départ de la première « caravane » de migrants qui quittent le Honduras le 13 octobre. Ils sont environ 2000 hommes, femmes, enfants, à faire le voyage vers le Nord, ensemble. En terme de chiffres, ils ne sont pas plus nombreux que toutes les âmes en peine qui quittent leur pays et se mettent en route vers les États-Unis, chaque jours depuis l’Amérique centrale. Mais ils ont décidé de ne plus partir seuls et anonymes, proies faciles des trafiquants d’humains, des “narcos” (narcotrafiquants) mais aussi de la “migra”, la police migratoire. Ils se sont regroupés, ils sont visibles et ont leur donnent voix. C’est ce qui change.
Plusieurs « caravanes » de migrants du Honduras et du Salvador traversent le Guatemala au même moment que nous. Les guatémaltèques font montre de marques de générosité. Ils offrent à boire et à manger. On sent un grand sentiment de solidarité pour ceux qu’ils traitent comme leurs frères, subissant les mêmes fléaux de violences des gangs, d’extorsions et de pauvreté extrême dans un contexte de justice aveugle et de police corrompue. Au Guatemala, ce sont presque tous les hommes que nous avons rencontrés et avec qui nous avons parlé qui avaient déjà été aux États-Unis « de morado » (littéralement « mouillés » et qui pour l’administration américaine signifie « entrer de manière illégale ») avant d’être « deportado », c’est-à-dire expulsé et renvoyé de force au pays, pieds et poings liés dans l’avion de retour et après un séjour plus ou moins long dans les prisons américaines. Nous dormirons aussi parfois dans des endroits tenus seulement par des femmes (grands-mères, mères, filles, belles-filles, cousines) avec enfants, tenant le commerce alors que les hommes sont partis pour les États-Unis.
Ce qui nous fend encore plus le cœur, c’est de mettre leurs histoires en parallèle avec la générosité et les sourires avec lesquels nous sommes accueillis au Honduras. Les honduriens sont accueillants comme les guatémaltèques, mais avec un dose de curiosité un peu plus prononcée. Nous aimerions tant croire que ceux qui se mettent sur la route de l’exil reçoivent le même accueil au Nord que nous lors de notre passage dans leur pays …
Beaucoup nous abordent pour nous demander comment nous voyageons, depuis combien de temps, d’où nous venons, etc. Nous serons même interviewés sur le bord de la route pour deux chaînes de télévision locale, Mundo Maya Canal 13 et Canal 20 Copán, dont les journalistes nous ayant aperçus passer à vélo devant eux, sautent sur leur scooter pour nous rattraper et demander le droit de nous filmer.
Après la ville touristique de Copán, nous passerons par la ville un peu louche de La Entrada, sorte de carrefour qui croise plusieurs axes routiers du pays et qui, comme toutes zones de transit, sent le trafic et les activités suspectes. Puis nous prenons la route des montagnes peuplées par les descendants des indigènes Lenca. Comme toujours « el campo », la campagne, est tranquille et accueillante. Nous retrouvons un peu de fraîcheur et atteignons La Esperanza Intibuca, la ville la plus “froide” du Honduras, à 1 700 mètres d’altitude.
Mais La Esperanza c’est aussi et surtout, la ville de Berta Cáceres, leader Lenca, défenseuse des droits des indigènes et de la Terre Mère, co-fondatrice du COPINH, le Conseil Civique des Organisations Populaires et indigènes du Honduras, assassinée le 3 mars 2016. Un meurtre dont les commanditaires n’ont toujours pas été inquiétés. Rien de neuf sous les tropiques.
Le meurtre de Berta Cáceres est emblématique de l’état d’impunité qui règne dans le pays. Alors même qu’elle était une personnalité reconnue internationalement pour son engagement, l’enquête sur son assassinat est représentatif de l’état de la justice au Honduras : enquête bâclée, preuves laissées de côté, procès entaché d’irrégularités, témoins clefs empêchés de témoigner et des coupables hauts placés, laissés en paix.
Puis nous quittons le Honduras, comme nous y sommes entrés, par les montagnes. Une montée de plusieurs kilomètres, mais presque facile car sans trafic et sur une piste faite de terre battue fraîchement refaite. La descente côté Salvador sera une autre paire de manche.
Nous sommes sur le point de quitter le Honduras lorsqu’a lieu l’arrestation à Miami du frère de l’actuel président hondurien Juan Orlando Hernandez, pour ses liens avec le narcotrafic. Une autre affaire “courante” dans les républiques d’Amérique centrale.
Pour en savoir plus sur les migrants centraméricains (les raisons de leur exil forcé ou encore les menaces auxquelles ils font face en traversant cet espace frontière qu’est devenu le Mexique), regardez l’interview de Marta Sánchez Soler, fondatrice du Mouvement Migrant Mésoaméricain (en espagnol) ou le film “La jaula de oro” de Diego Quemada-Díez (2013).