
Le thème de la mine au Pérou est un sujet grave. C’est justement ce que l’on voit à vélo. Une nature tellement belle et tellement fragile à la fois. On se demande combien de temps encore, elle tiendra le coup ? La cordillère Raura est une succession de hauts sommets enneigés, de lagunes de glaciers, de cascades et de rivières. Il y a aussi des bofedales, ces zones humides des Andes qui forment des prairies en permanence mouillées permettant le développement de toute une biodiversité. Le tout surplombé, à quelques 4 700 mètres d’altitude, par … des mines de plomb, de zinc et de cuivre.

Nous partons de la Unión, un village où il y a de multiples affiches annonçant les tauromachies, une pratique apparemment très populaire dans le pays. 400 mètres de dénivelé positif sur 11 kilomètres et ce sera tout pour la journée. Nous campons sur le site archéologique de Huanuco Pampa, une ancienne ville Inca.


Puis nous attaquons une longue ascension de 5 jours à vélo jusqu’au col situé à 4 700 mètres. On dirait que la saison des pluies commence tout doucement. Evénement qui paraît attendu par une nature très sèche, mais qui à ces hauteurs, nous glace très rapidement. On demandera donc 3 nuits durant le soutien de villageois pour nous prêter un toit où passer la nuit.


Au Pérou, les invitations n’ont jamais été spontanées, mais à chaque fois que nous étions en difficultés et que nous l’avons demandé, les gens nous ont toujours apporté leur aide.


Plus on monte, plus on s’éloigne de la pampa et plus on est émerveillé des vues sur les sommets enneigés, les glaciers et les lagunes.




Mais bientôt, nous approchons du col et déjà les activités de la mine de Raura se font entendre. C’est d’ailleurs très impressionnant d’entendre la montagne qui se fait peu à peu grignoter à son sommet. Les pentes sont abruptes et on s’attend à chaque instant à ce que la colère d’une Mère Nature malmenée et saccagée se rebelle en un énorme éboulement de terrain afin d’engloutir ses assaillants.



Pas question de camper par ici, il nous faut gravir la montagne et tenter de redescendre au maximum de l’autre côté pour dormir avec un peu d’oxygène et sortir du vent et de la neige. Il nous faudra 3 heures de vélo, hors temps de pause, pour gravir les derniers 17 km, au son des machines, au milieu des camions, sur une route de boue, de terre et de cailloux, … On aura connu plus glamour comme parcours. Et en plus d’en vouloir aux hommes pour cette exploitation infernale de la Terre, on en bave physiquement.

Un homme en pickup s’est arrêté pour parler avec nous lorsqu’on s’apprêtait à traverser la mine. Il nous pose plein de questions, alors nous aussi. Il est de Lima, est arrivé depuis 3 jours. Il est biologiste et étudie la faune et la flore. On lui demande s’il travaille pour le gouvernement. Il dit non. On lui demande alors s’il travaille pour la mine. Il dit oui, mais ses rapports son destinés au gouvernement. Alors on en profite pour lui demander de quel type de mine il s’agit. Et il sèche ! Il ne sait pas … Mais il est biologiste chargé par la mine d’étudier la qualité de vie de la faune et de la flore environnante … Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.




On est au milieu des glaciers, des lacs de glaciers, des cascades, mais on entend les grosses machines qui piquent et taillent la montagne. Et cela, tout au long de notre périple au Pérou. Je n’ai pas fait le calcul du nombre de mines que nous avons vues avec notamment une majorité de mines de charbon, mais il est clair qu’au Pérou, on ne laisse pas la nature en paix. Elle est exploitée partout, même dans les endroits les plus hauts, les plus arides et les plus reculés.

Le Pérou est le pays que nous avons traversé sur lequel nous avions le moins de connaissances historiques, géopolitiques, etc. Sur le terrain, depuis notre point de vue de cyclistes, sur la petite partie où nous avons roulé, on a vraiment l’impression que le pays est complètement livré aux intérêts des capitalistes et exploiteurs des ressources naturelles de tout poil … Comme en de nombreux endroits ailleurs sur le continent. Oui. Mais avec une absence totale de résistance. Pas un graffiti, pas une pancarte, pas un autocollant. Rien. Nous n’avons bien sûr pas parcouru tout le pays. Ailleurs non plus. Et pourtant, de l’Alaska à l’Equateur, même minime, nous avons toujours lu, vu ou entendu une certaine forme de contestation du modèle existant. Pas ici. C’est étrange.

Il y a énormément de barrages hydroélectriques, d’activités minières qui utilisent l’eau des rivières tout en rejetant leurs eaux usées dans des cours d’eau que les populations consomment en aval. Lorsque les gens nous disent boire l’eau de la rivière, nous leur racontons que nous avons vu plus haut les mines rejeter leurs eaux contaminées dedans. Mais personne ne semble jamais ni choqué, ni être au courant.

Un autre constat que nous avons fait, c’est l’absence d’animaux sauvages. Nous n’avons vu que des oiseaux (quelques perroquets, colibris mais surtout des vautours spécialisés dans le recyclage des poubelles à ciel ouvert), deux scorpions, trois serpents écrasés sur la route, des grenouilles, des insectes et deux Vizcachas (un drôle de lapin des Andes à oreilles courtes et queue d’écureuil). Et cela en 3 mois passés dans le pays.

Les montagnes sont à couper le souffle. C’est la première fois qu’on est bluffé à ce point par les paysages depuis l’Alaska, mais à la différence du Grand Nord, les animaux sauvages font défaut.

En redescendant de la cordillère, après avoir passé les premiers kilomètres de cailloux et au moment où on retrouve enfin le goudron et qu’on se sent pousser des ailes, l’axe qui relie le chariot à la roue, casse net. Un camion nous emmène à Oyon, la ville la plus proche. Daniel fait souder la pièce alors que je suis clouée au lit, malade de l’estomac.


Nous repartons deux jours plus tard. Mais 56 kilomètres de descente plus loin, l’axe casse de nouveau. La soudure n’a pas tenu. Un pickup nous prend en stop et nous amène à Sayan. A 140 kilomètres au nord de Lima.


En tout, nous resterons immobilisés, au chômage technique, pendant plus d’un mois, le temps de rechercher un nouvel axe sur le continent et avant de finir par devoir commander la pièce depuis l’Europe. Un repos forcé encore bien mérité.

Les enfants doivent marcher, et moi aussi.

On se dit que l’envoi peut tarder. On décide donc d’avancer en bus et de recevoir la pièce au Chili, pour avoir le temps de traverser l’altiplano et notamment les salaires de Bolivie avant l’arrivée des pluies.

De nouveau, les enfants doivent marcher.
Mais nous ne sommes pas mécontents de quitter le Pérou, après ces 3 mois passés dans le pays. C’est la première fois dans notre voyage que nous nous sommes retrouvés aussi perplexes. Nous n’avons pas réussi à nous imprégner de la culture péruvienne. Nous nous sommes toujours sentis étrangers, bien que parlant la langue couramment. Nous n’avons pas réussi à vraiment “vivre” le pays comme nous en avions eu le sentiment partout ailleurs.

La surexploitation des ressources, l’absence d’animaux sauvages, le contact distant avec les gens et un trafic complètement fou (les péruviens sont les pires conducteurs du continent), font que nous n’avons accroché qu’en raison de la splendeur des montagnes.


De la fenêtre du bus qui nous conduit de Lima à Tacna, à la frontière chilienne, nous voyons défiler, sur 1 220 kilomètres, les paysages de la côte, désertiques et pourtant hébergeant des milliers de granges industrielles et notamment des élevages intensifs en batterie de poules et de cochons. Une image absolument apocalyptique d’un système économique et d’exploitation capitaliste complètement fou.


