Nous quittons l’île de Prince of Wales, en Alaska, le cœur et les yeux remplis d’émotions et de belles rencontres. Nous arrivons à Ketchikan après 4 heures de bateau. Le temps d’un pique nique sur le port puis nous embarquons à 15h30 pour arriver à 23h à Prince Rupert, la ville la plus arrosée du Canada.
Les douaniers sont sympas et nous laissent passer le poste frontière en premier, devant toute la file de voitures. On file au camping. Après 2 jours passés sous une pluie battante, nous embarquons pour 7 heures de traversée direction les îles d’Haida Guaii.
« No sky in the clouds » – Pas un ciel dans les nuages
Nous arrivons avec la pluie, mais trouvons un camping avec un espace de jeux à côté alors les enfants sont les plus heureux du monde. Puis nous entamons la découverte de l’île. Par le Nord, car le Sud est composé de centaines de petits îlots accessibles uniquement en bateau (tous complets) ou en avion (hors de prix). Nous trouvons un petit coin de paradis à la pointe de l’île, à Tow Hill. Nous campons au bord de la plage et apercevons même deux phoques noirs !
Sur la route, nous croisons la première « boulangerie » depuis notre départ, il y a 4 mois, avec pain, pizzas et gâteaux faits maison. Hum…
Car l’île d’Haida Guaii, contrairement à Prince of Wales, connaît un sacré renouveau. Les Premières Nations sont bien organisées et les habitants « blancs » sont de type « granola », comme disent les québécois, un équivalent de baba cool chez nous. Il y a donc une multitude de totems et on trouve des tomates cerises jaunes du jardin de Jo, des courgettes vertes et jaunes locales et même de la viande de l’île, le tout bio bien sûr ! Alors on ne demande pas mieux, et on s’arrête pour quelques jours au bord de l’estuaire de Port Clemens, où nous trouvons un toit pour manger, mettre la tente et protéger les vélos et le chariot de la pluie.
On profite tous les matins de la venue des oiseaux, Grues, Oies, Pygargues à tête blanche, qui viennent se restaurer sur la plage à marée basse. C’est déjà la fin de la saison touristique, nous sommes les seuls à profiter de cet endroit.
D’Haida Guaii à Alert Bay
Nous prenons le bateau 15 jours plus tard. Départ à 22h de Skidegate, à Haida Guaii, arrivée 7h le lendemain matin à Prince Rupert. Petite pause déjeuner sur le port puis on rembarque à 11h pour arriver le lendemain 9h à Port Hardy, au Nord de l’île de Vancouver, au large de la ville du même nom. Plus reposés par notre séjour sur Haida Guaii, que par nos deux courtes nuits en mode camping sur le bateau, nous enfourchons nos vélos après avoir avalé notre petit déj sur le port. 40 km plus tard, nous arrivons à Port Mac Neill où nous prenons le bateau pour arriver en 40 minutes sur la toute petite île d’Alert Bay.
Petit coin de paradis
Le ciel est bleu et le coucher de soleil est magnifique sur le petit port de pêche. L´île est toute petite, elle ne compte que 6,5 km de route. Alors que nous cherchons un endroit pour poser la tente, nous rencontrons Kliff. Il trouve notre histoire incroyable, nous indique un emplacement pour camper en bord de mer de l’autre côté de l’île, puis nous demande de passer le voir le lendemain pour raconter notre aventure autour d’un café.
Le lendemain, c’est grasse matinée comme jamais. Les enfants dorment jusqu’à 10h puis on traînaille tous jusqu’à midi sous la tente ! Une grande première ! D’habitude, à peine réveillés, les petits réclament de sortir pour manger. Nous sommes heureux car il pleut sans discontinuer et nous n’avons pas mis le toit hier soir, trompés par le soleil qui brillait. On sort la tête de la tente pour petit déjeuner profitant d’une accalmie. On aperçoit alors la dorsale d’une baleine. Quoi de mieux pour débuter la journée ? Puis nous partons sur le port à la recherche d’une douche.
Nous profitons des équipements réservés aux navigateurs : douche à 1 dollar les 4 minutes (la moins chère rencontrée jusqu’ici), avec accès Internet gratuit et prises de courant pour recharger ordi, piles des lampes et livres électroniques. Quand nous arrivons chez Kliff, il est déjà tard, alors il nous invite le lendemain pour le souper à 17h.
Premières Nations sacrifiées
Cette fois-ci, nous ne loupons pas le rendez-vous. Il nous accueille grand sourire dans sa maison jaune en bord de mer, au jardin joliment décoré et fleuri. Sa femme Kelly, nous raconte l’histoire de la maison : une ancienne officine du tribunal et de la police. On le voit aux toilettes où les barreaux d’une ancienne cellule sont restés.
Kelly, indigène, est conseillère à la municipalité Première Nation de l’île. Elle nous explique la division de l’île, pourtant très petite. D’un côté les « blancs », et effectivement en passant à vélo on avait remarqué le côté Upper Class de cette partie de l’île, et l’autre partie « indienne », là où nous campons. Ainsi il y a deux entités qui gèrent l’île : une autochtone, l’autre « blanche ». Cela se remarque aussi sur la promenade longeant le port, d’un côté des bancs et des fleurs, de l’autre, des avancées en bois ornées de totems et avec des bancs en face à face pour inviter à la réunion, à la concertation. Une fois qu’on le sait, tout se lit très clairement dans l’organisation spatiale de l’île. Côté Première Nation, il y avait une « residential school ». Cette école réservée aux “indiens” pour les acculturer, a été démolie avec une cérémonie de démontage il y a 2 ans. Cela a été l’occasion pour d’anciens élèves et leurs familles de tenter d’exorciser ce passé douloureux.
Black tunnel of Canadian history – Le tunnel noir de l’histoire canadienne
C’est le tunnel noir de l’histoire du Canada, en effet. Des écoles réservées aux « indiens », où ils étaient séparés de leur famille, n’avaient pas le droit de parler leur langue maternelle. Ils y subissaient toutes sortes de mauvais traitements, physiques, psychiques et psychologiques. Toutes sortes d’abus qui ont fini par être dénoncés. Certaines des victimes ont mené des procès contre les autorités ce qui a fini par conduire à une reconnaissance officielle des souffrances infligées aux Premières Nations et a permis l’existence de nouvelles politiques pour permettre le renouveau culturel qu’on observe aujourd’hui. Des communautés qui tentent de se reconstruire, érigent de nouveaux totems après les années de silence qui ont frappé les peuples autochtones acculés par les maladies importées de l’Est, les « residential school » et les interdictions de poursuivre leur culte. De tradition orale, tout un pan de la culture autochtone s’est perdue au cours des 19ième et 20ième siècles. Les tentatives d’avancées sont récentes, le chemin est encore long. Notamment vers la réconciliation. Contrairement aux communautés mayas du Guatemala, on sent beaucoup d’animosité et de ressentie de la part des populations Premières Nations envers les « blancs ». Et pour cause, les faits se sont produits récemment.
La colonisation de ces territoires du Grand Ouest a débuté au milieu du 18ième siècle, les lois discriminatoires visant à éradiquer les cultures indigènes étaient en vigueur jusque dans les années 1980 et il a fallu attendre 2008 pour que des excuses officielles soient prononcées par le Premier Ministre d’alors, Stephen Harper. Ce passé douloureux est encore très présent dans les mémoires. Les « blancs » sont venus, ils ont causé la mort et la disparition de tout un pan de la culture indigène, mais ils ont aussi divisé des territoires qui autrefois étaient unis, comme les îles de Prince of Whales aux Etats-Unis et Aida Guaii au Canada, tous ces peuples de la mer aux savoirs ancestraux. Mais Kelly est assez optimiste, le renouveau prend forme peu à peu.