Nous débarquons au Nicaragua sur une plage quasi-déserte à Potosí, sur un sable noir et volcanique. Il n’y a que nous et une autre famille qui posons pied, la douane et les services de migrations sont déserts mais il nous faut attendre une heure au poste frontière. C’est toujours moins que nos 4 heures d’attente à la douane du Salvador. Mais tout de même, c’est comme si les deux employés chargés de notre dossier, faisaient tout pour traîner en longueur. Au vue du contexte de répression gouvernementale dont pâtissent les habitants, on se dit que l’ambiance reste tendue et que la confiance ne règne toujours pas.
Bref, cela nous laisse le temps d’un petit pique-nique et de visiter les toilettes, refuge de toute une colonie de chauve-souris. On a l’impression d’avoir atterri dans la campagne nicaraguayenne authentique. Le village vit de la culture de crevette et des champs de cacahuètes qui l’entourent. Nous restons deux nuits, le temps de monter le volcan Cosiguina. 4 heures de marche pour monter et 3 heures pour redescendre. Le tout sous un soleil de plomb, une journée de « repos » plutôt sportive. Heureusement, les petits sont à cheval.
Au Nicaragua, à la différence des autres pays d’Amérique centrale, on a l’impression que les gens parlent volontiers politique. Mais nous ne savons pas dans quelle mesure ils sont libres de livrer leurs opinions. Les soulèvements populaires contre le président Daniel Ortega et la répression qui a suivi, au plus fort en avril, mai et juin derniers, n’est à quelques mois de là. Encore tout frais dans les têtes. Mais nous entendons des idées très diverses. Les gens âgés de la campagne paraissent soutenir le gouvernement. Pour notre guide lors de la montée du volcan Cosiguina, un vieux paysan de Potosí, ce sont les jeunes qui n’auraient pas dû semer la pagaille et les forces de l’ordre qui n’ont fait que rétablir un peu d’ordre. Pour un autre jeune par contre, le président est un fou, tout comme ses complices de l’Alba (l’Alliance bolivarienne qui connue son heure de gloire du temps d’Hugo Chavez au Venezuela). Il parle tellement librement et fort contre le régime en place qu’on en vient même à se demander s’il ne fait pas partie de la police secrète (type Cuba, qui se cache partout, même sous les traits d’une petite mamie se promenant tranquillement dans les rues). Mais ça, nous ne le saurons pas, car alors que nous abordions le thème de la place de la femme en Amérique centrale, il s’est excusé soudainement et a filé …
Jusqu’à Chinandega, nous sommes ravis de rouler au Nicaragua. Pas de trafic, la route est presque à nous. Mais en s’approchant de Leon, tout change. Le pays compte pourtant un nombre incalculable de gens à vélo. Les parkings des usines sont pleins de vélos garés. Il y a de nombreux vendeurs de rues ambulants à vélo et toute une ribambelle de taxi-vélo, sans compter les paysans qui se rendent à vélo dans leur champ, la machette nouée à la ceinture. Pourtant les véhicules ne nous respectent pas et doublent en nous serrant de près.
Nous faisons une pause de quelques jours dans la ville étudiante et coloniale de Leon. Ce fut l’un des cœurs de la protestation du printemps 2018. On ne voit pas de trace apparente de la répression, mais on sent que la ville se remet à peine de ses émotions. Niveau tourisme, elle commence tout juste à voir ouvrir les nombreux hôtels et auberges de jeunesse où se pressaient les étrangers avant les événements et qui ont déserté. En effet, de nombreuses ambassades ont recommandé pendant des mois à leurs ressortissants de ne pas se rendre au Nicaragua. Pour ceux qui vivent du tourisme, les temps sont durs. Dans l’hôtel que nous choisissons, nous sommes les premiers à être hébergés de nouveau. Il était resté fermé les 8 derniers mois et venait de rouvrir à l’instant ses portes quand nous nous sommes présentés.
C’est à Leon que nous rencontrons la VeLoveFamily, nos premiers cyclovoyageurs rencontrés depuis longtemps. Et pas n’importe lesquels, une famille avec 3 enfants voyageant avec deux tandems couchés et un chariot. Lalie a 10 ans, son frère Esteban 8 ans et leur petite sœur Naïa 2 ans (comme Mika). On est tout content de pouvoir échanger sur les routes, les vélos, les enfants en voyage, la logistique, etc. Les enfants s’entendent à merveille ce qui nous laisse le loisir de discuter.
Le lendemain avant de partir, nous testons le tandem. C’est en effet, une super option pour emmener à vélo des enfants trop grands pour le chariot, mais aussi pour les adultes… Et je me prends à rêver à pédaler semi-couchée, super confort. Mais à lui seul, le tandem pèse 30 kg. Ce n’est donc pas pour tout de suite. Nous aurions bien aimé partager plus de temps avec la super VeLoveFamily, mais nous sommes attendus pour Noël au Costa Rica, nous ne pouvons plus traîner, surtout que nous voulons profiter de l’île d’Ometepe quelques jours.
Nous reprenons la grande route en sortant de Leon avant de bifurquer vers la côte Pacifique et suivre les chemins de traverse. Nous campons derrière une station de pesage de poids lourds et aussi sur un site naturel encore fermé au public mais où le gardien nous laissera camper à condition d’avoir quitté les lieux à 5h30 du matin, c’est-à-dire aux premières lueurs du jour. Cela ne nous embêtera pas trop, la chaleur étant étouffante.
La côte Pacifique de toute l’Amérique centrale (et même jusqu’aux États-Unis) est bien plus chaude et sèche que la côte Atlantique. De plus, c’est la partie la plus habitée, la plus défrichée et la plus défigurée par les monocultures. Sans arbre, sans eau, la chaleur plombe. On rencontrera pourtant le Père Noël avant l’heure, originaire de Catalogne, avec sa longue barbe blanche et son ventre bedonnant, qui nous offrira quelques kilos d’oranges assorties d’une prière pour guider nos pas.
Puis nous nous rendons sur l’île d’Omotepe. Magique avec ses deux volcans pointant à plus de 1 600 mètres d’altitude. Le premier jour, nous faisons le tour du volcan Concepción à vélo. Le jour suivant, on tente la chevauchée à scooter autour du volcan Maderas. Les 4 dessus, à la mode centraméricaine où beaucoup n’ont qu’une moto ou un scooter pour se déplacer et emmener toute la famille, du petit nourrisson à l’arrière grand-mère.
Nous aurions aimé traverser en bateau de l’autre côté du lac Nicaragua, pour rejoindre le fleuve San Juan et entrer au Costa Rica par une frontière peu fréquentée, mais il n’y a plus de ferry depuis qu’une route faisant le tour du lac a été construite. Nous retrouvons donc l’autoroute Interaméricaine pour les 90 km restant avant de traverser le très fréquenté poste frontière de Peñas Blancas. A notre compteur vélo, nous enregistrons plus de 7 kilomètres de file d’attente de poids lourds.