Depuis la ville de San Luis Potosi, nous nous préparons à rejoindre la fameuse Huasteca Potosina, une région à la végétation luxuriante en terre chaude et humide avec une variété incroyable de cascades, sources d’eau cristalline, grottes, gouffres et rivières. Il nous tarde de quitter le désert et semi-désert, pour retrouver les arbres et avec eux, l’ombre et les fruits, et voir à nouveau l’eau couler autour de nous. A partir de là, nous basculerons d’une chaleur sèche à une chaleur humide qui nous fera suer toutes les gouttes de notre corps.
Mais le 1er juillet approche, jour des élections générales au Mexique. Les mexicain.e.s votent pour élire leur nouveau président mais aussi les députés et gouverneurs des 32 états que comptent le pays.
Nous décidons donc de faire une pause, le temps du weekend électoral, au bord de la source de Media Luna, des sources d’eau thermales qui forment une lagune en forme de demi-lune. En effet, il pourrait y avoir des débordements, des blocages et autres en cas d’échec du favori des sondages, Andres Manuel Lopez Obrador, dit AMLO. Cette année électorale aura été l’une des plus sanglante de l’histoire du Mexique avec 133 responsables politiques assassinés depuis le lancement de la campagne en septembre 2017. Candidat du parti de gauche Morena, AMLO est présenté comme une alternative aux deux partis qui se partagent le pouvoir depuis 1929, à savoir le PRI et le PAN. C’est la troisième fois qu’il se présente, il a toujours été donné vainqueur. Des fraudes ont empêché son élection les fois précédentes, mais pas celle-ci. AMLO arrive largement en tête et ses opposants reconnaissent sa victoire. C’est une véritable fête qui a lieu notamment à Mexico.
Dans les régions que nous avons traversées, nous n’avons pas eu l’impression d’un engouement quelconque pour qui que ce soit des candidats, plutôt même un manque d’intérêt en raison d’une désillusion totale face au monde politique, qui sont pour eux tous corrompus et en place uniquement pour s’en mettre plein les poches et arroser leurs familles et amis.
AMLO vient de la campagne de Tabasco, il a soutenu les Zapatistes et a toujours milité à gauche, mais ses positions durant la campagne n’avaient rien de radicales et on peut s’attendre à ce que sa politique n’ai pas d’autres ambitions que de mettre un peu de sparadrap sur les plaies du capitalisme. Bref, il n’a rien d’un Chavez mexicain et ne transformera pas le Mexique en Venezuela, comme les tenants de la droite mexicaine tentaient de le faire croire lors de la campagne électorale.
Cette année, les Zapatistes (le mouvement de libération nationale fondée au Chiapas avec notamment le sous-commandant Marcos, en 1994 lorsque le Mexique rejoint l’ALENA et les accords de libre échange avec le Canada et les Etats-Unis) avaient décidé de jouer le jeu des présidentielles. Ils ont donc présenté une candidate indigène, María de Jesús Patricio Martínez dite Marichuy. Mais elle n’a pas réussi à obtenir le nombre de voix nécessaires pour pouvoir se présenter. En effet, les signataires soutenant des candidats à la présidentielles devaient voter de manière électronique via un smartphone, ce dont sont démunis la plupart des habitants des communautés indigènes où justement Marichuy aurait pu rassembler les votes. Mais l’un des objectifs des zapatistes a été atteint, on a beaucoup parlé de Marichuy, des femmes candidates et des indigènes.
Les élections passées, nous poursuivons pour franchir une dernière chaîne de montagne et attaquer la descente vers la Huasteca Potosina. La chaleur se fait plus pesante. Il fait très humide mais nous sommes ravis dêtre à nouveau entourés de verdure, pour la première fois depuis que nous sommes au Mexique.
La Huasteca nous a enchanté pour pédaler. Cela n’a pas toujours été facile car nous avons suivi de petites routes, souvent bordées d’arbres et ombragées c’est vrai, mais avec des montées franches et des parties de terres et cailloux, sous un soleil de plomb et avec une chaleur humide qui nous a fait éliminer toutes les toxines de notre corps.
Dans la campagne de la Huasteca Hidalguense, nous passons par de tous petits villages où l’on rencontre des gens toujours aimables et accueillants. Le summum fut à Nexpa. Arrivés après 43 km parcourus en 5 heures de montées sur piste par grosse chaleur, on ne pouvait plus continuer. Nos jambes ne nous portaient plus. La chaleur nous accablait. On s’arrête alors dans le premier village pour demander s’il y a un endroit où dormir. On nous indique le poste de police. Les policiers sont très sympas et nous montrent du doigt le kiosque sur la place centrale. Alors on plante notre tente en plein milieu du village. Et peu à peu, avec la nuit qui tombe, les habitants viennent se regrouper, s’asseoir sur les bancs autour du kiosque pour discuter et profiter du semblant de fraîcheur qui arrive avec le coucher du soleil. Les jeunes et les enfants de tous âges, se mettent à prendre Marla et Mika à les faire jouer et rigoler. Pur moment de bonheur. Tout le monde est intrigué par notre voyage, nos vélos, notre tente mais personne ne semble choqué de nous voir camper sur l’estrade en plein village. A tous, cela paraît bien normal de nous accueillir. Et de nous offrir à boire, de nous proposer de prendre une douche (ce qu’on accepte volontiers), ou de venir dormir dans un lit (ce qu’on refuse car rien ne vaut une nuit dehors sous la moustiquaire en temps de canicule).
Bref, nous sommes comblés et on en même temps, on ne peut s’empêcher de se demander comment, dans les petits villages d’Europe, la population accueillerait des personnes aussi exotiques que nous le sommes nous au milieu des paysan.e.s mexicain.e.s à cheval. Leur offrirait-on de camper sur la place du village ? De prendre une douche dans nos maisons ? De boire quelque chose ou d’entamer une partie de football avec les enfants ? Accueillir sans se poser plus de questions, avec tout le naturel et la curiosité bienveillante possible. On aimerait pouvoir y croire.
Notre intégration est tellement réussie, qu’en à peine quelques mois passées au Mexique, les enfants parlent couramment espagnol. Nous ne leur avons pourtant rien appris. Ils l’ont assimilé d’eux-même par le jeu, au contact des autres enfants. Incroyable de facilité et de naturel.
Et la video Facebook qui continue de circuler. Les gens nous reconnaissent alors même que nous traversons des régions reculées, aux petites routes de campagne peu fréquentées. Lors d’une pause au bord d’une rivière à Zacatianguis, c’est tout un pick up chargé d’enfants et de jeunes qui s’arrêtent avec des boissons fraîches et des cookies. Ils nous ont vus et reconnus. Ils nous demandent la permission de passer du temps avec nous. Ils prennent Marla et Mika par la main et les emmènent se baigner. Ils rigolent comme des fous. Encore un pur instant de joies simples qui nous réconfortent dans notre route, que nous avons choisi loin des grands axes et du trafic mais qui suit la topographie des collines, qui monte et descend sans arrêt sur des chemins non-goudronnés. Il nous faudra faire descendre les enfants et pousser quelque fois.