On quitte La Paz après un mois de pause « forcée » par l’attente d’un matelas gonflable en provenance des États-Unis (en SAV). Quand enfin nous récupérons le paquet, (nous avons dû aller à la centrale de distribution du courrier car le camion de livraison n’avait pas d’essence pour livrer …), c’est le ferry chargé de la traversée de passagers entre La Paz et Mazatlan qui ne fonctionne plus. Il est en réparation pour une durée indéterminée. On pose une annonce dans la marina où mouillent les voiliers, dans l’espoir de faire du bateau stop, mais cela ne donne rien. Alors on décide de prendre le bateau cargo qui transporte les camions de marchandises d’un côté à l’autre du Golfe de Californie.
Sur le cargo, il fait extrêmement chaud, le « salon » type intérieur d’avion est climatisé mais pas les toilettes. Ils empestent ! Puis la nuit, nous sommes réveillés par un couple qui tape continuellement des pieds et des mains. Agacée, je me lève pour leur demander d’être plus discrets et d’éteindre la lumière. Ils m’expliquent être en lutte contre la vermine. Et là, alors qu’on ne s’était rendu compte de rien, on ne peut plus que se fixer sur les innombrables petites bêtes qui courent sur le sol, grimpent sur nos matelas et rampent dans nos sacs à viande ! Des puces de lit, des cafards et compagnie. Toute une faune qui ne nous réjouit pas vraiment …
Mais le lendemain matin au « réveil » (les enfants eux, ont bien dormi, ils ne se sont rendus compte de rien), on s’aperçoit qu’on navigue au milieu des tortues de mer. On passe tout près d’elles. Elles doivent être des centaines. On est en train de les suivre dans leur retour vers les plages de la côte du Sinaloa pour venir déposer leurs œufs dans le sable, là où elles sont elles-mêmes nées quelques années plus tôt. Super cadeau pour nous faire oublier les mauvais côtés de notre traversée.
A Mazatlan, il fait extrêmement chaud. Comme dans l’ensemble du Mexique, il y a une alerte à la vague de chaleur avec des températures frôlant les 50°C dans certaines regions.
Après avoir éliminé la vermine de nos vêtements, sacs à viande et nappe de pique-nique et fêté nos un an de voyage à vélo, nous quittons la côte Pacifique dans l’espoir de trouver un peu de fraîcheur dans les hauteurs. En effet, en un peu plus de 100 km, nous passerons du niveau de la mer à presque 2 716 mètres d’altitude.
Pour se rendre à Durango, il y a deux routes possibles. La “libre“, l’ancienne route aux milles et uns virages, étroite et escarpée. Etant gratuite, la plupart des voitures continuent de l’emprunter. Et la “cuota“, l’autoroute flambant neuve. Nous choisissons de monter par cette dernière. Plus large, elle a une bande d’arrêt d’urgence qui nous sert de piste cyclable. Les vélos sont en théorie interdits, mais en pratique, on nous laisse passer sans payer en passant à côté des détecteurs de véhicules pour ne pas être enregistrés. Et surtout, elle ne suit pas le cours des montagnes et monte donc presque en continue.
L’avantage pour nous, c’est que la route monte en pente douce. Physiquement, c’est plus facile que d’enchaîner les montées-descentes car l’effort, bien que constant, est régulier. Jusqu’au sommet à 2 716 mètres, nous n’avons connu que 4 descentes. Le prix à payer, c’est l’attaque en règle de la Sierra Madre Occidental à coup d’explosifs. En effet, on compte 63 tunnels et 115 ponts dont le pont le plus haut d’Amérique à plus de 400 mètres de haut, sur ces 255 km de route. L’autre question posée, c’est celle du coût de la construction. Aucun doute en tout cas que c’est l’autoroute qu’un Nicolas Sarkozy aurait aimé offrir à un ami comme Martin Bouygues. Ici, au Mexique, on se demande d’où est venu l’argent dans un pays qui dit ne pas avoir suffisament de ressources pour ses écoles, ses hôpitaux ou ses programmes sociaux.
Le plus dur en montagne est de trouver un endroit où poser la tente à l’abri des regards car il y a peu d’espace libre au bord d’une route escarpée. Pour le premier soir nous pensions trouver facilement l’endroit indiqué par un couple de cyclistes américains sur leur blog, lorsqu’ils avaient “inauguré” en vélo la toute nouvelle route à son ouverture il y a 5 ans. Mais ce ne fut pas si simple. On a trouvé à la nuit tombée un emplacement qui aurait pu être plus plat mais qui avait au moins l’avantage d’être à l’abri des regards. En effet, pour notre sécurité, il vaut mieux dormir caché. Même si les personnes rencontrées au bord de la route nous ont toutes fait mention de la relative sûreté des lieux, le “propriétaire” des terres ne permettant pas qu’il y ai de la délinquance, on est toujours sur nos gardes. Qui est ce mystérieux “propriétaire” toujours évoqué vaguement ? Comment s’y prend-il pour faire régner le calme aux abords de la route ? Autant de questions qui restent en suspens dans cet état du Sinaloa connu pour ses cartels de la drogue.
Au deuxième jour, nous cherchons les sources d’eau que nos camarades cyclovoyageurs évoquaient sur leur blog. On repère de nombreuses traces laissées par des cascades et des cours d’eau mais pas une goûte d’eau à l’horizon. C’est peut-être dû à la saison. Nous sommes en mai, soi à la fin de la saison sèche.
Le jour suivant au bout de 15 kilomètres parcourus en 3 heures de dur labeur, nous décidons de faire une pause à l’ombre des pins. Il ne nous reste pas beaucoup d’eau. On est donc agréablement surpris de découvrir qu’il y a un petit village caché derrière la coline. C’est Santa Lucia. Nous petit-déjeunons à l’ombre des pins lorsqu’un véhicule arrive. Nous l’arrêtons pour demander de l’eau. Alma, la passagère, nous propose de passer la voir dans sa maison juste à côté. Quinze minutes plus tard, elle revient à pied nous chercher pour nous inviter à manger. On arrive dans son jardin et déjeunons à l’ombre des manguiers, avocatiers, orangers, citronniers, papayiers et cactus.
Alma prépare ses tortillas au feu de bois. Cette partie du voyage commence à nous rappeller la vie dans les montagnes du Guatemala. Puis elle nous invite à passer la nuit chez elle afin de partir le lendemain matin tôt, à la fraîche. Alors on prend le temps de discuter.
Alma nous raconte qu’il y avait beaucoup d’opposition à la construction de la route. Elle n’avait pas spécialement d’opinion là-dessus. Elle était même plutôt favorable. Jusqu’à ce que les travaux commencent et qu’ils ne cessent d’entendre le bruit des détonations et des explosions et de vivre dans la poussière continuelle du chantier. Puis elle s’est radoucie lorsqu’ils lui ont proposé de construire une nouvelle maison. Et elle nous montre la maison en dur, avec cuisine moderne (c’est-à-dire une gazinière), construite à côté de la maison aux murs de terre et de paille où Alma continue de cuisiner au feu de bois. Sans la mobilisation des gens alentours, il n’y aurait pas eu de compensations pour les dommages subis.
Lorsqu’on lui parle de notre recherche d’eau en chemin, Alma nous explique que depuis la construction de l’autoroute, les sources d’eau, les cascades et les petites rivières se sont taries. Dans l’après-midi, un “narco-pickup” comme on dit entre nous (c’est-à-dire un pickup trop luxueux pour ne pas être douteux) fait son entrée dans le village. Alma le salue de loin. Elle nous explique que c’est le parrain de son fils et qu’effectivement, c’est un narco.
Depuis que nous sommes au Mexique continental, c’est-à-dire en dehors de la Basse-Californie qui est plus en relation avec les Etats-Unis, nous sommes en alerte constante. D’autant que juste avant de quitter la Paz, nous avons appris que deux cyclovoyageurs, un allemand et un polonais, ont été assassinés au sud du Mexique dans l’Etat du Chiapas. Un grand mouvement de solidarité est né de cet événement tragique parmi les cyclistes et non cylistes mexicain.e.s, un réseau d’entraide aux cyclovoyageurs traversant le Mexique a été créé. Nous nous sommes mis en contact avec eux et mis en place notre propre suivi avec nos ami.e.s de Queretaro au Mexique et de Berlin en Allemagne. Nous installons Whatsapp sur nos téléphones et nous envoyons notre plan de route et notre position chaque soir.
On ne prend pas de risques. Aussi, lorsque nous repérons deux jeunes à moto au comportement suspect, nous décidons de nous arrêter dès que possible et demandons au premier paysan que nous rencontrons de pouvoir camper sur son terrain.
A nouveau, la vie nous offre ce qu’elle a de plus beau au moment où l’on doute le plus. Alors que nous ne nous sentions pas en sécurité, Don Oscar nous ouvre les portes de son terrain et nous laisse camper avec son boeuf, sa vache et son veau, son chaton et son jeune chien, ses moutons et ses poules, tous mêlés et vivant ensemble dans une harmonie si paisible qu’il nous réconcilie avec notre bonheur de voyager. Don Oscar nous offre sans le savoir un vrai bout de paradis pour nous ressaisir de nos émotions. Pour le dîner nous goûterons les fameuses “gorditas“, des tortillas fourrées de viande en sauce ou de haricots noirs. Un délice.
Notre “ranchero” nous met en garde qu’il fera très froid cette nuit. Tant que le soleil brille, la chaleur se fait sentir mais la nuit, effectivement, il gêle. Nous ressortons les duvets de plumes, les gants et les bonnets pour la première fois depuis 5 mois. Le matin, lorsque nous sortons le nez de la tente, tout est blanc. On sauve de justesse une poule du coyote qui rôde. Dans la nature, on ne serait pas intervenu, mais pour notre hôte, on s’est dit que ce serait aimable de lui sauver sa poule. Le coyote, aux allures de grand loup, n’avait pas vraiment peur du petit chien ni de nous, mais il a fini par partir. Don Oscar ne tarde pas à venir ensuite, les bras chargés de petit bois pour nous faire un feu et nous réchauffer le temps que le soleil inonde la prairie.
Chez Don Oscar nous sommes au point le plus haut, le reste de la route est donc plus facile et nous arrivons à Durango après une cinquantaine de kilomètres de pure descente, heureux de se poser quelques jours dans cette ville au “burrotes” aussi grands que des pizzas (sorte de”burrito” géant, une tortilla de farine de blé, roulée avec de la viande en sauce) et qui ont raison de nos appétits de cyclistes affamés.