Ce titre est légèrement exagéré. Oui, nous avons bien arpenté la mer des Caraïbes en bateau mais nous n’avons pas vraiment le pied marin et nous ferions de bien piètres pirates … Arrivés à Porto Belo, au Panama, nous nous sommes mis à la recherche d’un voilier ou un catamaran qui pourrait nous faire traverser les Caraïbes pour arriver à Cartagena en Colombie.
En effet, la région du Darién ou bouchon du Darién, à cheval sur le Panama et la Colombie qui n’étaient auparavant qu’un seul et même pays, est une zone humide, marécageuse, royaume des moustiques et des crocodiles, où l’on a pas encore trouvé le moyen de construire une route. La région est donc presque vierge de toutes habitations. Elle sert de refuge à la guérilla colombienne, aux narcotrafiquants et accessoirement, de passage aux migrants. Quand nous étions au Panama un groupe de migrants cubains faisaient la Une des journaux alors qu’ils tentaient de se rendre dans le pays depuis la Colombie via ce bout de terre. Il y a bien des histoires de cyclovoyageurs ayant tenté la traversée, vélo sur le dos, pieds dans l’eau. Nous sommes aventureux mais on a quand même des limites. On a donc vite écarté cette solution.
Une autre option aurait été celle de prendre l’avion. On trouve des vols pas chers de Panama à Medellin, Bogota ou Cartagena en Colombie. Mais nous voulions rester les pieds sur terre/mer. Et surtout nous n’aimons pas trop l’idée de prendre l’avion. Nous ne voulions pas « casser » notre route. De plus, nous avions trèèès envie de traverser la mer des Caraïbes en bateau et surtout, de s’arrêter dans les îles indigènes Kunas qu’on dit magnifiques. On aime la mer et ses habitants. C’est l’océan Pacifique et ses baleines que nous avons suivis de l’Alaska jusqu’au Mexique. La mer des Caraïbes nous aura accompagnée du Belize jusqu’au Panama. Après avoir quitter la côte colombienne, nous ne devrions plus la voir pour un long moment. Alors nous voulions en profiter.
Pourtant, on nous a bien prévenu qu’à cette période de l’année, la mer est forte, le vent souffle et les vagues sont hautes. Une famille argentine qui voyage, le papa en moto et la maman avec les deux enfants en stop ou en bus, nous ont raconté avoir tous été malades pendant leur traversée entre la Colombie et le Panama et en garder un très mauvais souvenir. Mais nous restons sur notre idée qui nous fait malgré tout rêver. Pourtant la mission n’a pas été simple, avec notre chargement et nos jeunes enfants. Nous avions fini par trouvé un monocoque qui devait nous emmené avec 6 autres personnes, mais les capitaines nous ont appelé un jour avant le départ pour annuler en raison du mauvais temps en mer. Ils ne voulaient pas prendre le risque de voyager avec des enfants malades et surtout, des parents malades, incapables de s’occuper de leurs enfants…
Bref, nous faisons connaissance avec un monde de marins pas vraiment habitué aux enfants. Les passagers sont souvent des backpackers qui voyagent seul.e.s, en couple ou entre ami.e.s. Certains bateaux sont connus pour être des lieux de fête avec alcool et cocaïne. D’ailleurs, la plupart des capitaines, en plus de leur penchant sur la bouteille, prennent de la coc pour tenir éveillés le long du trajet qui dure cinq jours avec 10 heures non-stop la première nuit puis 35 heures de traversée en continue les deux derniers jours. Comme le bateau que nous avions trouvé était trop petit, nous avions demandé à un autre bateau de prendre nos vélos. Nos montures ainsi que le chariot étaient donc déjà partis alors que nous restions à quai. Finalement nous trouvons un catamaran (plus stable en mer que le monocoque) avec Sebastián, comme capitaine. Il est argentin, ce qui change des autres capitaines qui bien souvent ne parlent pas espagnol, et en prime, il sera papa dans quelques mois. Il est donc super content et curieux d’emmener une famille avec des petits enfants à son bord.
Nous mettons les voiles 5 jours après nos vélos. Sebastián et son coéquipier Fernando, lui aussi argentin, nous donne rendez-vous le lundi 11 mars, à 17h à la Casa X, un restaurant de bord de mer, là où se retrouvent tous les marins qui font le va-et-vient entre le Panama et la Colombie, dans le port de Puerto Lindo (18 km au nord de Porto Belo). Mais ce n’est que vers 18h que Sebastián débarque pour nous dire qu’un zodiac passe nous prendre avec nos bagages vers 20h pour embarquer sur le « Zoe », son catamaran.
C’est donc de nuit qu’on embarque sur le bateau avec 6 autres personnes (3 couples de suédois et allemands). On lève l’encre à 2h du matin alors que nous dormions tranquillement. On était bien secoués et dès que je me réveillais dans la nuit, j’élaborais dans ma tête, des plans de sauvetage des enfants : comment les sortir de la cabine au plus vite tout en leur accrochant leur gilet de sauvetage, comment maintenir la tête hors de l’eau avec des vagues de 5 mètres, etc.
Les enfants se sont réveillés avec la lumière du jour et tout excités d’être en bateau, ils ont voulu se lever et regarder par le petit hublot. Mal leur en a pris, cela leur a donné direct le mal de mer. Mika a commencé à vomir, puis Marla, puis à nouveau Mika, puis encore une fois Marla, ainsi de suite. J’ai donc dû me lever plusieurs fois, tenir le sac plastique, chercher les lingettes, nettoyer la couchette, les vêtements, les bouches, etc. Jusqu’à ce que je me sente à mon tour très très mal et que je sois moi aussi prise de nausées…
J’ai réussi à me lever pour ouvrir le velux et appeler à l’aide. J’ai crié ” ayuda ” (à l’aide) entre deux vomissements. Je me sentais tellement mal que je n’arrivais presque pas à parler, car à chaque fois je vomissais ou tentais de vomir et n’y arrivais pas, n’ayant plus rien dans l’estomac. Fernando n’a rien compris de ce que je tentais de lui demander, à savoir, le sirop contre le mal de mer pour enfant resté dans la cabine de Daniel. Il m’a dit que je pouvais laisser le velux ouvert pour faire rentrer de l’air, et m’a rassuré en me disant que Daniel allait arriver. Et Daniel qui se sentait bien jusqu’à ce moment, nous a amené le sirop dans notre cabine. Mais le fait de se lever et de venir, l’a rendu malade lui aussi …
Bref, on a bien souffert. Le mal de mer, c’est juste affreux. C’était la première fois que nous étions malades en mer et pourtant nous avions déjà pris le bateau mais jamais dans de telles condition d’une mer déchaînée. L’envi de vomir en continu sans jamais vraiment pouvoir se soulager car au bout d’un moment il ne reste plus rien à rendre dans l’estomac. C’est un peu comme si nous étions dans l’attraction des fêtes foraines du bateau de pirate avec impossibilité de descendre. Nous étions partis depuis 6 heures déjà, mais il nous restait encore 2 heures de haute mer avant de jeter l’ancre dans l’archipel de Guna Yala. Je me disais qu’il me serait impossible de tenir 36 heures d’affilées pour la traversée finale et je me maudissais de n’avoir pas proposé de prendre l’avion et de voyager tout confort… Mais pourquoi étions-nous venus nous fourrer dans cette galère ?
Après avoir parcourus 50 milles nautiques en 8 heures, nous sommes enfin arrivés et avons jeté l’ancre à Chichime, l’un des 365 îlot corallien paradisiaque que comptent l’archipel des San Blas de Guna Yala. Les autres membres de l’équipage étaient plus ou moins bien. Je suis celle qui a eu le plus de mal à me remettre. Je n’avais qu’une idée en tête, qu’on me relâche sur terre ! Daniel, Marla et Mika ont mangé leur petit déjeuner de bon appétit, comme si de rien n’était. Même à l’arrêt, le bateau tangue toujours un peu. Impossible pour moi d’avaler quoi que ce soit.
Après manger, le capitaine a proposé de me débarquer avec le petit canot à moteur, sur la plage avec les enfants. Une proposition que j’ai accepté de suite avec joie ! Enfin retrouver la terre ferme, ma terre chérie. Après avoir passé 2 bonnes heures en mode « baleine échouée » sur la plage, le mal de mer est finalement passé. Pour les enfants par contre pas de problème. Comme si de rien n’était, débordant d’énergie, cela a été direct les plongeons, la baignade, les châteaux de sable et tous les jeux possibles et imaginables qui leur sortaient par la tête.
On remonte sur le bateau pour le déjeuner. Notre capitaine et son coéquipier nous ont chouchoutés. Ils nous ont cuisiné de super plats avec plein de fruits (melons, pastèques, papayes, oranges), des légumes et du poissons qu’ils venaient de pêcher, complété par l’achat de poissons aux pêcheurs Kunas qui viennent en barque près des bateaux qui s’arrêtent pour leur proposer le fruit de leur pêche et même de la glace pilée pour maintenir au frais les boissons. A bord, les enfants n’ont pas traîné pour trouver des candidats à la lecture d’histoires, à la construction de lego et autres jeux.
Nous passons la nuit sur le bateau à côté de l’île. Le lendemain matin, nous sommes réveillés par le bateau qui se met en marche. Après une heure de navigation, lorsqu’on entend l’ancre qui se déroule, on se retrouve tous sur le pont pour partager le petit-déjeuner. Nous sommes en face de l’île de El Porvenir où se trouve la douane pour tamponner nos passeports de sortie et payer le droit d’entrée en territoire Kuna. En effet, les Kunas, peuple indigène du Panama, se sont soulevés contre le gouvernement en 1915. Cette révolution Kuna leur a permis d’obtenir leur droit à un territoire propre : la province de Guna Yala, qui compte notamment le fameux archipel de San Blas, où nous sommes avec ses 365 îlots coralliens, et toute la bande côtière qui fait face, au Sud-Est du pays.
Nous avons ensuite rejoint l’île de Banedup (ou Cayos limones) où nous avons passé la journée et la nuit. Le lendemain nous mettions le cap sur l’île de Waisalup (ou Cayos holandeses). Nous avons pu faire de la plongée au dessus du récif corallien. Nous étions bien conscients à ce moment, comme à beaucoup d’autres au cours de notre périple à vélo, de vivre un vrai rêve éveillé.
En plus du cadre idyllique, Sebastián et Fernando ont tout mis à notre disposition pour nous rendre heureux, pour emmener les enfants en bateau à moteur sur les îles, nous prêter masque, tuba, bouée, nous arranger une couchette sur le ponton pour être au vent et estomper le mal de mer.
Bref, au final et après avoir survécu au mal de mer, on a passé 5 jours de rêve. Et les 35 heures de bateau continu en haute mer, contre le vent, contre le courant et contre les vagues, pour rejoindre Cartagena en Colombie à quelques 200 milles nautiques se sont plutôt bien passées. Pour cela, nous avions pris toutes les précautions possibles. Daniel a pris en charge les enfants dans une couchette sur le pont et moi, j’ai passé les deux derniers jours et nuits en haute mer, en majorité couchée sur le ponton ou debout face au vent. Et cerise sur le gâteau, on a même pu voir des dauphins.
Puis, on s’est réveillé un matin, l’air de rien, dans le port de Cartagena, bateau à l’arrêt. Tout le monde dormait lorsque je suis montée sur le pont. Au son des mouettes et du clapotis vagues sur la coque, j’ai assisté à un magistrale levé de soleil sur le port. De suite, je crois que j’ai aimé cette nouvelle ville et ce nouveau continent.
Pour la dernière fois, notre capitaine nous prépare le petit déjeuner. Puis nous sommes partis tranquillement rejoindre la terre ferme, comblés. Seul regret, celui de ne pas avoir passé plus de temps sur ces îles de rêve pour profiter de la beauté naturelle des îlots dont la plupart sont vierges, avec pour simple couverture, des cocotiers, du sable blanc et une eau turquoise remplie de poissons et de coraux, mais aussi pour faire plus ample connaissance avec les Kunas, peuple de pêcheurs à l’artisanat remarquable notamment dans le travail des perles.