On arrive à la frontière bolivienne, côté Chili à Colchane au moment où Evo Morales le président bolivien, forcé à la démission, se cache puis s’enfuit grâce à l’aide du gouvernement mexicain. Accueilli au Mexique comme exilé politique, il se réfugiera ensuite en Argentine. Je rêvais de connaître la Bolivie de Morales, depuis son élection en 2005. Nous arrivons trop tard. Le premier indigène à diriger le pays avec des idéaux de justice sociale et la reconnaissance d’une nation plurinationale, a dû quitter de force le pays et laissé le pouvoir aux représentants de la classe dominante “blanche”.
Lorsque nous arrivons à Pisiga, nous sommes attristés devant les images transmises depuis La Paz, la capitale. De voir brûler la Wiphala, le drapeau symbole des peuples indigènes des Andes (devenu deuxième drapeau officiel de l’Etat plurinationale de Bolivie en 2009) avec l’entrée au palais présidentiel des représentants de la droite dure, bible à la main. C’est la fin du virage sociale de la Bolivie. Un nouveau coup est porté aux gauches latino-américaines peu à peu toutes destituées en faveur d’un retour au néolibéralisme comme en Equateur post-Correa, au Chili post-Bachelet ou encore au Brésil post-Lula et Roussef.
J’avais très envie de découvrir la Bolivie d’Evo Morales, pas vraiment la Bolivie post-coup d’Etat. Nous venons de quitter le Chili où la révolte gronde pour plus de justice sociale et rejoignons une Bolivie où se joue la reprise du pouvoir par les mouvements réactionnaires de la Bolivie “blanche” des grands propriétaires terriens.
Pourtant dans cette partie d’altiplano que nous parcourons, nous sommes très loin de l’agitation des villes et des blocus de routes où opposants et pro-Morales s’affrontent.
Nous traversons la Bolivie rurale. Celle des paysans aymaras et quechuas. Ici, les affiches pour soutenir Evo, notamment lors du referendum organisé pour obtenir sa réélection, sont partout. Des “oui” sur tous les murs. Morales a beaucoup fait pour cette région. Les paysans que nous rencontrons lui sont tous favorables. A Coipasa même, c’est un hôpital ultra-moderne dont le style tranche carrément avec les maisons de briques de terre et tôle ondulées. Les hameaux, très modestes ont accès à l’eau et à l’électricité. Ce qui nous aide grandement pour le ravitaillement en eau.
Nous sommes redescendu autour de 3 600 mètres d’altitude. On respire mieux, l’effort coûte moins que lors de notre traversée de l’altiplano chilien à plus de 4 200 mètres, mais l’air est toujours extrêmement sec et le rayonnement solaire incroyablement fort.
Passer la ville frontière de Pisiga, nous nous retrouvons loin de tout, comme on aime. Nous traversons de tous petits hameaux, déserts en journée lorsque les rares habitants sont dans leurs champs de quinoa ou avec leurs troupeaux de Lamas.
Souvent il n’y a rien à part quelques maisons de terre cuite et toits de tôle ondulée. Mais souvent il y a une place centrale, parfois avec un kiosque et même un robinet. De l’ombre et à boire, c’est tout ce que l’on demande pour nos pauses pique-nique.
Nous traversons de petits villages peuplés de papis et mamies aux sourires édentés, les dents restantes devenues vertes par la mastication des feuilles de coca.
A Coipasa, une réunion de village a lieu concernant les événements qui secouent le pays et les mesures à prendre.
A Salinas, les habitants débattent d’envoyer ou non une délégation pour participer au blocage des routes.
Au milieu de nulle part, nous sommes soudain devancés par les Step out and Explore, un couple de Slovaques qui voyage à vélo avec leur deux chiens en chariot depuis le Canada. Nous nous étions déjà croisés au Pérou dans la cordillère blanche.
Entre cyclovoyageurs il se raconte qu’il est difficile de trouver des fruits et légumes frais dans les petits villages que nous allons traverser. En effet, le transport de marchandises est perturbé par les blocus et dans l’altiplano, on ne trouve que quinoa et viande de lama.
Les personnes travaillant dans le tourisme se retrouvent pénalisés par la crise, les Ambassades étrangères ayant déconseillé à leurs touristes de se rendre en Bolivie.
Pour nous, à vélo nous ne faisons que percevoir des échos de la crise, sans en souffrir. On ne dépend pas des moyens de transport et nous transportons une grande partie de notre ravitaillement depuis la frontière. Cela ne nous empêche pas de nous précipiter pour acheter fruits et légumes dès qu’on en voit.
Et nous nous retrouvons presque seuls sur les salars. Nous traversons d’abord le salar de Coipasa, le deuxième désert de sel le plus important de Bolivie, au nord du salar d’Uyuni. Situé à 3 690 mètres d’altitude, il fait environ 70 km de long et 50 km de large. Nous le traversons en une journée.
Juste le temps de prendre les bons réflexes de se couvrir un maximum les yeux et la peau tellement la réverbération de la lumière est intense sur le salar. Au deuxième jour de mes règles, je laisse sur l’étendue blanche une grosse tâche de sang en vidant ma coupe sur le sel où il est difficile de creuser avec notre pelle en plastique tellement la surface est dure et compacte.
Peu emprunté, on ne peut pas suivre les traces laissées par les voitures qui lissent le sol comme sur le salar d’Uyuni qui sert d’autoroute pour les communautés du nord du salar qui souhaite se rendre dans la ville d’Uyuni. Sur le salar de Coipasa, on se retrouve à pédaler sur ce qui ressemble plus à un sol granulé, type crumble gelé. Alors oui, c’est plat mais ça ne glisse pas tout seul non plus.
Il y a des endroits où l’on se dit qu’on aurait jamais autant apprécié qu’en y venant à vélo. Le salar d’Uyuni est de ces endroits. Tellement magique, tellement spécial, tellement rude qu’il vaut la peine d’être vécu. Trop grand, trop chaud le jour, trop froid la nuit, trop venteux pour le traverser à pied. C’est à vélo, plus qu’en tour d’une demi-journée en jeep qu’on peut vraiment l’apprécier.
Le salar d’Uyuni est l’un des points dont on rêve quand on traverse les Amériques à vélo. Et la magie, c’est que malgré les images qu’on a vu et qu’on s’en fait, l’expérience n’en est pas pour autant diminuée en émerveillement.
Plus grande étendue de sel au monde avec ses 150 km de long sur 100 km de large, il contient la moitié des réserves de lithium de la planète, notamment exploitée par les allemands.
A vélo, nous mettons quatre jours à le traverser. Deux nuits à camper sur le sel et une nuit dans une petite salle derrière le petit musée de l’île d’Incahuasi (“la maison de l’inca” en quechua) où vit en permanence une famille. Visitée chaque jour par les touristes, la famille et les travailleurs de la réserve naturelle se retrouvent coupés du monde lorsque le salar est en eau, à la saison des pluies, entre décembre et mars. Personne n’est autorisé à rester dormir sur l’île, sauf les cyclovoyageurs.
Dans le livre d’or des cyclovoyageurs ayant fait une halte pour la nuit sur l’île d’Incahuasi, on retrouve quelques camarades de route et notamment nos ami.e.s italiens de la Happy Family BIOcycling.
Nous quittons le salar d’Uyuni conquis par sa beauté. Pour la suite du trajet, nous avons décidé de passer dès que possible au Chili, pour continuer notre descente au sud côté chilien sur la route goudronnée plutôt que côté bolivien en suivant la route des lagunes, l’une des plus belles routes empruntées par les cyclovoyageurs en Amérique du sud mais avec un dénivelé important, un vent violent et surtout, une piste de sable.
En tout, nous aurons passé 15 jours à traverser la partie des salars de l’altiplano bolivien. On aura aperçu quelques ñandus, petites autruches sauvages d’Amérique du Sud, difficiles à prendre en photo car très timides. Et bien sûr beaucoup de lamas qui résistent aux conditions extrêmes de l’altiplano et peuvent boire l’eau de la région, toujours plus ou moins salée.
On aura aussi fait connaissance avec un vent très fort qui nous fait redoubler d’effort pour rejoindre Ollagüe, au Chili. Nous avons également renoué avec les problèmes d’estomac dus à la qualité de l’eau, bien que nous la purifions systématiquement.
¡ Hasta luego Bolivia !