On repart de Seattle, bien reposé, bien nourri, bien lavé. Darren, Linda et leur fils nous avaient conseillé de prendre le train pour rejoindre la Côte Pacifique afin d’éviter de passer par des endroits ultra-urbanisés et pas touristiques du tout. Moi, quand il est question de rejoindre la mer tout en économisant ses muscles, je suis partante. Mais Daniel est plus persévérant à tenter de trouver les meilleurs voies de passage à vélo. Il a bien planché et nous a débusqué trois itinéraires possibles. On s’est décidé pour le plus long en kilomètres, mais avec le plus de pistes cyclables et petites routes de campagne. Nous n’avons pas été déçus du voyage.
Il nous faut quelques kilomètres pour rejoindre la première voie de vélo qu’on emprunte au Sud de Seattle. La première partie du trajet, ce n’est que piste cyclable avec vue sur le Mont Rainier, sous le soleil. Et ce qu’il y a de bien avec les pistes cyclables, c’est que même en pleine ville, elles sont toujours bordées d’un peu de nature, des arbres, une riviére, un canal, etc. En automne, rouler à côté des arbres aux milles teintes de jaunes, de rouges et de verts, c’est juste un pur bonheur. La route est droite, il n’y a pas de voiture, on va vite (en moyenne 18 km/h) et on peut même se permettre de remettre la musique dans les oreilles. On sent, on voit, on vit l’automne, c’est magnifique.
Alors que tout le monde nous disait qu’il n’y avait rien à voir dans cette partie de l’Etat de Washington, nous sommes agréablement surpris. Mais c’est vrai qu’à vélo, nous n’avons pas les mêmes critères. Nous, on est juste content d’avoir du soleil, des arbres et la vue sur les montagnes pour pique-niquer et de trouver un bon endroit pour poser la tente.
C’est vrai que comme on traverse des zones trés habitées, on se retrouve parfois à camper à côté de grandes surface, dans des mini-bois. Mais dans ce cas-là, on est aussi content le lendemain matin, après avoir remballé nos affaires vite fait bien fait, de se servir de ces énormes supermarchés pour faire nos commissions. Entendez par là, utiliser les toilettes. C’est un peu notre acte anti-capitaliste de bisounours. C’est pas méchant, ça mange pas de pain, mais c’est symbolique !
Parfois la police vient nous contrôler et devient sympa dès qu’elle se rend compte que nous sommes des touristes et non des sans-abris. Quand ils repartent, ils nous mettent toujours en garde : « Be careful, there are a lot of homeless people here ». Et effectivement, nous les rencontrons les homeless people, les sans-abris, pas toujours sympas oui (mais en même temps quand on a tout perdu on n’est plus trop disposé à sourire), mais dangereux non. La saison touristique est passée et nous traversons des zones déshéritées. Aussi, dans les camping municipaux, nous nous retrouvons à camper avec ceux qui ont perdu leur maison. Et ils sont nombreux… On traverse aussi pas mal de quartiers de mobile home, construits comme des quartiers résidentiels mais avec des mobile home de taule, en style provisoire qui dure. Apparemment, la même ambiance règne à Aberdeen, la ville de Kurt Cobain que nous laissons à quelques kilomètres au Nord de notre route.
Nous aussi parfois, on nous prend pour de dangereux SDF. On le sent dans certains endroits, comme là où Daniel a crevé son pneu. Nous nous sommes arrêtés en bord de route à l’entrée d’un chemin privé menant à des maisons. Une voiture est apparue au bout. Elle s’est arrétée, puis a avancé, puis a reculé, puis de nouveau avancé et s’est approchée pour enfin s’arrêter à quelques mètres de nous. Une femme est sortie courageusement munie d’un téléphone portable à la main et d’une voie tremblante a lancé « Everything is fine ? » (tout va bien ?). C’est Daniel qui s’est approché d’elle et a parlé. Elle a pu voir que nous étions étranger, à vélo. Ouf ! Des touristes ! Et elle est repartie.
Sur le chemin de vélo, nous retrouvons des endroits où l’on peut camper en pleine nature. Au milieu des bois jaunes, rouges, oranges, avec le vol des oies et des cygnes sauvages en prime au-dessus de nos têtes. C’est beau. Et nous croisons Isaac, qui vient de finir son service de nuit et vient cueillir des champignons. Il s’arrête pour discuter alors qu’on remballe la tente et ne veut plus nous quitter. On échange sur la région et les ours noirs qui n’hibernent pas et sont toujours présents. Lui qui nous dit que le plus à craindre ce sont les orignaux qui sont en rut en ce moment. C’est d’ailleurs pour cela qu’il porte … et tac, il dégaine son revolver ! Waoo. C’est la première fois que je vois quelqu’un dégainer son flingue devant moi. Je lui dit « oulala non, nous, on ne porte pas d’arme, et en plus on ne sait même pas s’en servir ». Alors, aussi naturellement que s’il nous invitait à prendre le thé, il me demande « No ? Really ? You wanna try ? » (“Non ? Vraiment ? Tu veux essayer ?”). Je rigole, mais il ne doit pas comprendre pourquoi et je lui dit, « Non. Merci ».
This is America. Beaucoup sont armés et trouvent ça normal. On peut d’ailleurs se procurer un revolver dans un supermarché ou une boutique spécialisée dans le camping et sports de plein air. Un peu plus avant sur la route, alors qu’on passait devant un jardin d’enfant Montessori, j’avais juste eu le temps de me dire, “ah tiens, on traverse une partie de l’Amérique éclairée“, quand « bam, bam, bam », on entend des dizaines de coups de feu… On venait de passer à côté d’un centre d’entrainement au tir. Et moi, je ne m’y fais toujours pas d’être dans un pays où le port d’armes est légal. Ça fout les jetons. Ils n’ont pas peur des balles perdues ? Les armes sont faites pour tuer. Rien à voir avec l’état de santé mental du proprio. C’est dangereux point barre. Quand je raconte cela à Darren et Linda, nos amis de Seattle, ils hochent de la tête et me disent que leur fils a 23 armes à feu chez lui ! Bref, pour en revenir à mon histoire, lorsqu’on a fini de tout empaqueter, on se sépare d’Isaac et on reprend la route. 10 minutes plus tard, on le voit débouler sur son vélo à côté de nous, chargé d’un sac rempli de boîtes de poulet, deux tranches de lard, des carottes et des betteraves du jardin !
Et lorsqu’on atteint enfin l’océan, après 62 km pédalés d’une traite, ce sont Martha et Mark qui nous interpellent depuis leur voiture : « Do you need a warm shower ? » (“Vous avez besoin d’une douche chaude ?”). Oui, volontier. Ils nous expliquent être invités à dîner et donc nous attendre chez eux pour nous montrer la maison et faire connaissance avec le chien puis filer chez leurs amis. 10 km plus tard, on découvre une maison toute jolie, toute chaleureuse qui nous attend, avec des jouets à gogo pour les enfants et un bain chaud ! Ils nous laissent un livre en partant. C’est l’édition de la traversée des États-Unis à vélo du Pacifique à l’Atlantique de 1976. Mark a participé à l’événement. Excellent ! Nous sommes chez d’anciens hippies très sympathiques et toujours contents de pouvoir rencontrer et héberger des cyclistes. Le lendemain matin, Martha nous prépare un délicieux petit déjeuner avec patates au four, œufs brouillés et bacon. Après plus de 300 km en 6 jours, on est aux anges. Puis on repart de Long Beach, où ils habitent, en suivant le Pacifique jusqu’à l’embouchure du fleuve Columbia, là où a pris fin en 1806, la fameuse expédition de Lewis et Clark, chargés par le président des Etats-Unis de l’époque Thomas Jefferson, d’ouvrir la voie vers le Pacifique.