L’Amazonie colombienne, terre d’accueil

Traversée de notre première cordillère andine, dans le sud de la Colombie.

Plus on s’éloigne des bords du fleuve Magdalena et plus on prend de la hauteur, plus on retrouve une nature moins travaillée/abîmée par les hommes. On assiste de nouveau avec joie, au vol groupé des perroquets verts et des énormes papillons bleus, les morphos.

Nous allons bientôt quitter le fleuve Magdalena après l’avoir remonté presque jusqu’à sa source dans les montagnes.

A Gigante, nous devions rejoindre un ami du réseau de contact de professeurs de José Luis, notre ami de Neiva. Mais après avoir attendu 3 heures au parc centrale, nous nous apprêtions à partir à la recherche d’un hôtel lorsqu’une dame, Franci, nous demande où nous allons. Nous lui expliquons notre petite mésaventure. Elle nous connaît depuis 5 minutes à peine, mais dit d’emblée « et bien venez chez moi, je vous offre le logis ».

Pause photo avec Franci et sa famille.

Elle nous explique alors que son fils part aussi quelques fois voyager à vélo et qu’il lui a déjà ramené des voyageurs à la maison. Alors nous la suivons à quelques bloques de là. La maison est modeste mais c’est le paradis pour les enfants. Franci a 6 enfants, deux ne vivent plus ici, mais les 3 plus petits ont à cœur de jouer avec Marla et Mika. Ça rigole. Il y a aussi des chats, des chiens, des canards et même des perroquets apprivoisés.

Daniel a réussi a trouver les mots pour amadouer l’un des perroquets de la famille qui n’aime habituellement pas les étrangers.

Comme par hasard, l’interview que nous avons donnée 3 jours plus tôt à la chaîne RCN passe justement le soir même à la télévision nationale. Nous regarderons alors tous ensemble notre prestation. La famille est toute contente d’héberger la famille à vélo qui fait les titres du JT. Nous, cela nous permet de voir dans quel contexte notre interview est diffusée. Elle est en fin de Journal du soir et passe juste après avoir fait la liste des faits-divers de meurtres de femmes et d’enfants. On se dit alors que pour ceux qui ne voient le monde que par la télé, ils doivent vraiment nous prendre pour des inconscients-fou-furieux de sortir à vélo sur les routes avec les enfants dans un tel contexte.

“Une famille traverse le continent à vélo”

Juste après est diffusé un programme complet d’une heure sur le “péril vénézuélien” qui frappe la Colombie. La bande-annonce rappelle que la plupart des migrants vénézuéliens se comportent très bien, mais la musique et les images font tout pour donner peur des bandes de jeunes migrants du Venezuela, avec leur casquette et leur sweat à capuches qui volent, détruisent et pire encore. C’est consternant. On a de la peine pour tous les vénézuélien.ne.s rencontré.e.s avec qui nous avons échangé.

“L’aventure a commencé il y a deux ans en Alaska”.

Franci nous raconte son histoire. Ils vivaient sur leur terre où ils cultivaient le cacao, mais une entreprise hydroélectrique les a délogés. Après avoir lutter avec la cinquantaine d’autres familles concernées elles-aussi par la construction du barrage, ils ont réussi à négocier une indemnisation. Avec cette somme, elle a pu acheter la maison dans laquelle elle nous reçoit, en ville. Malgré tout, elle ne s’en sort pas. “Avant nous avions toujours quelque chose pour nourrir les enfants” nous explique-t-elle. “Maintenant, pour tout, il nous faut de l’argent. Si on veut un œuf, il nous faut de l’argent”. Elle nous raconte aussi que son petit dernier a eu beaucoup de mal à laisser leur ferme. Il adorait se baigner dans la source d’à côté. Il n’a pas compris pourquoi ils étaient forcés de partir et surtout pourquoi il devait quitter sa source chérie.

Le lendemain, nous repartons en offrant un gâteau d’anniversaire à l’amoureux du vélo qui fête ses 20 ans.

Nous traversons le sud de la Colombie qui fait encore peur a bien des colombiens du nord. La veille de notre arrivée à Gigante, 3 personnes ont été tuées par balles dans des histoires supposées de règlement de compte.

A Pitalito, nous sommes accueillis en “warmshower” chez Dario et Constanza.

A Pitalito, changement de décor, nous sommes accueillis chez Dario, Constanza et leurs deux enfants, dans leur résidence avec piscine. Ils nous permettent de laisser les vélos pour aller visiter en bus le site archéologique de San Agustín. En remerciement, nous leur cuisinons une belle quiche de légumes, profitant de leur cuisine équipée, avec four. En effet, la plupart des familles chez qui nous sommes hébergés, dans la campagne, ne possède pas de four.

Visite du site archéologique de San Agustín.

Le parc archéologique de San Agustín compte quelques 300 sculptures monumentales, dont certaines font penser aux dolmens et menhirs bretons à la différence qu’ils sont tous sculptés en forme de visages et corps d’humains ou d’animaux. La plupart date des Ier et Vème siècle de notre ère.

On attaque la montée du sud de la cordillère orientale, au milieu des plantations de cacao et de café.

Nous passons notre premier col de notre première cordillère andine, à 2 200 mètres d’altitude pour arriver dans la région du Cauca. Nous arrivons exténués et trempés chez Jeslie que nous avons croisée en chemin et qui nous ouvre les porte de l’ancienne école où elle vit avec ses enfants, son mari et son beau père.

Puis les cultures laissent place à la forêt humide. C’est magnifique.

Elle nous reçoit avec un verre d’avoine et lait chaud sucré à la “panela”. Comme partout ailleurs en Colombie, on n’utilise pas le sucre pour sucrer les boissons mais la “panela”, en français, pain de vesou, jus de canne chauffé puis refroidi qui donne un pavé sucré. La “panela” est aussi utilisée par les cyclistes colombiens qui croquent dedans pour se donner de l’énergie. Un bon exemple que je suis. Puis Jeslie nous offre le dîner composé de riz, de manioc et d’oeufs.

Jeslie avec son beau-père, ses enfants et les petits chatons.

Il y a des enfants, des petits chatons, Marla et Mika sont ravis. Nous aussi, de pouvoir trouver un toit sous lequel faire sécher nos habits trempés de pluie et puis aussi de partager un peu de vie et les histoires de la famille. C’est une ancienne zone rouge, c’est-à-dire contrôlée par la Guérilla. Ici, dans cette partie du Cauca, c’était le front 13 des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) qui opérait.

Faîtes attention aux cyclistes !

Pays de café et de cacao. Il y a même des ours dans la montagne, mais ils sont rares et menacés. Le paysage est magnifique, nous montons et retrouvons la forêt et la nature encore pas trop écorchée par l’homme. Nous montons, il pleut, nous redescendons et… je n’ai plus de freins. Impossible de rester sur le vélo et de freiner avec les pieds, j’ai trop de poids et en plus il pleut. C’est un comble pour un cycliste, après avoir souffert de tant monter de ne pouvoir apprécier la descente, cheveux au vent, avançant sans plus d’efforts… Je dois descendre, marcher et retenir le vélo qui veut partir tout seul.

Les problèmes techniques s’enchaînent. D’abord, je crève puis, quelques kilomètres plus loin, mes freins hydrauliques me lachent…

A un endroit où la route est délabrée et où souvent des familles se mettent au bord, pour reboucher les trous et demander une contribution financière aux automobilistes -certains disant d’ailleurs que ces trous sont entretenus par ceux-là même qui les rebouchent pour se faire un peu d’argent-, nous discutons avec deux femmes, pelles et sceaux à la main, qui proposent de nous héberger. Nous sommes de nouveau reçus les bras ouverts, avec encore une fois un verre d’avoine au lait chaud à boire, petit cadeau plus que bienvenu en ces temps de grosses pluies.

Arrivée à la toute nouvelle “maison de cycliste”, Samari Wasi.

Nous dormons dans la chambre de l’aîné parti en ville ce soir là. La famille nous explique que la veille, un bus a complètement brûlé à quelques centaines de mètres de là. Un groupe armé a stoppé le bus, fait descendre tous les passagers, sortie tous les bagages avant d’incendier le véhicule. Nous n’en saurons pas plus sur les pourquoi ni les qui ont fait cela. Le lendemain, nous assistons au tractage du bus complètement carbonisé et passons devant une vingtaine de soldats de l’armée postés face au lieu de l’incendie.

Super accueil de Ferney et son chien Jager, dans la toute nouvelle “casa del ciclista”.

La région est encore sensible et sujette à de nombreux blocages de route notamment. Les communautés indigènes, lorsqu’elles protestent, utilisent beaucoup ce moyen de contestation. Elles organisent aussi des blocus pédagogiques, c’est-à-dire où elles stoppent le trafic, mais juste le temps de parler aux occupants des véhicules immobilisés pour tenter de leur expliquer leur situation et de les rallier à leur cause. La particularité est que ces blocus pédagogiques ont souvent lieu la nuit entre minuit et 4 heures du matin.

Avec l’eau qui coule en permanence de la montagne, on prend sa douche et on fait la vaisselle au même endroit.

On change mes patins de freins en solution provisoire, ce qui nous permet d’arriver dans la région du Putumayo à quelques kilomètres de Mocoa. Nous trouvons la “maison du cycliste” que Ferney vient d’ouvrir. Nous sommes les premiers à venir y passer la nuit et il est tellement content de nous accueillir que, malgré le confort spartiate, nous nous sentons comme à la maison. Ferney, colombien de Bogota qui a parcouru pendant 3 ans la Colombie à vélo avec son chien Jager dans un chariot, a reçu tellement de soutien (comme nous), lors de son voyage qu’il s’est mis en tête d’accueillir comme lui a été accueilli. D’où son projet de “casa del ciclista” (maison du cycliste) pour héberger gratuitement les cyclovoyageur.se.s.

Notre campement avec Ferney pour quelques jours.

Il a passé un accord avec le propriétaire du terrain. Il remet la maison en état, fait venir des gens pour ensuite développer un projet de bungalows payant pour les voyageurs autre qu’à vélo. En échange, il peut rester et héberger gratuitement les cyclovoyageur.se.s. Il vient tout juste de débarrasser la maison de ses fourmis et de ses rats. La cabane a des murs de planches en bois et le toit de tôle ondulée, aux couleurs locales. L’eau court de la montagne mais il n’a pas encore construit de toilettes. Pour les besoins ce sera donc un trou dans le jardin. Il a une cuisine au feu de bois et un plancher au sec à nous offrir pour poser la tente. Endroit parfait pour les petits avec encore un chat, Michu, et un chien, Jager, et puis un grand espace vert plein de boue pour jouer dans la gadoue.

Cuisine au feu de bois.

Le lendemain, le second hôte de la “casa Samari Wasi”, arrive. C’est Driss, de Belgique. Nous restons deux jours à nous reposer. Au troisième, direction la ville de Mocoa pour tenter de trouver un atelier vélo avec des pièces de rechange pour freins hydrauliques Magura. Mission impossible, mais Giovanni, le mécano, veut bien tenter de trouver la fuite en s’aidant d’un tutoriel sur YouTube. Il passe deux bonnes heures sur mon vélo mais ne me fera rien payer. Solidarité cycliste. On ne trouve pas la fuite, mais mes freins sont purgés et tiendront encore quelques centaines de kilomètres.

Papillon exotique sur chaussettes sales :).

Alors que nous arrivions à la “fin du monde”, du nom de la cascade de 85 mètres qui se trouve à côté, les barres de fer qui servent de suspension aux roues du chariot se cassent net du côté droit. On trouve refuge dans un super endroit où l’on campe au-dessus du bassin à poisson. Ce sont des Tilapias, des poissons qui ne sont pas originaires de l’Amazonie mais qu’on retrouve beaucoup en pisciculture car ils n’ont presque pas d’arêtes.

Super spot pour camper, dans le kiosque au-dessus du bassin à poissons (tilapia).

Je retourne à Mocoa et grâce à Giovanni, trouve un soudeur qui nous refait deux pièces de métal taillées et percées à l’identique. Il nous ressoude aussi les deux pièces cassées. C’est ce qui est génial en Amérique latine, il y a encore tout plein de métiers qui ont encore du sens et servent à réparer et remettre en état électroménager, chaussures, vêtements, selles, etc.

Solidarité cycliste. Dans le lot, le jeune soudeur qui nous répare nos anciennes plaques et fabrique des ersatz, le tout pour 1,5 € de matériel.
Les plaques ressoudées et les ersatz.
Marla nous montre l’endroit des plaques.
Réparation des plaques de suspension de la roue droite du chariot.
En pause “ennuis techniques” on ne s’ennuie pas, on fait des soupes et des crêpes…
… on randonne jusqu’à la cascade de la fin du monde…
… on joue dans le lit du fleuve…
… et on fait des grasse matinées.

Puis nous redescendons de nos montagnes pour retrouver la région de plaine amazonienne, mais elle n’a plus trop de bois et de forêt comme son nom pourrait le laisser penser. C’est une zone pétrolière. Nous retrouvons les camions citernes tout au long de notre route E45 pour rejoindre l’Equateur. C’est une région où il y a beaucoup de travailleurs hommes et donc des bars et donc des hôtel de passe…

Défilé de camions citernes transportant le pétrole amazonien.

Région minière, région pétrolière, une même et toujours drôle d’ambiance mêlant pillage des ressources naturelles, déforestation, travailleurs pauvres et prostitution. Il y a également beaucoup de militaires, c’est une région de culture de la coca. On croise aussi quelques véhicules des Nations Unies, ou d’ONG comme Action contre la faim.

Beaucoup de Graff pour dénoncer la violence et appeler à la paix.

Nous sommes dans une ancienne zone sous influence de la guérilla. A quelques kilomètres de la frontière équatorienne, nous nous arrêtons dans le parc de la Mémoire de la communauté d’El Tigre, lieu d’événement tragique. Considéré comme un “pueblo guerillero”, dans la nuit du 9 février 1999, environ 150 paramilitaires des tristement célèbres Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) ont fait irruption dans le village sortant les habitants de leur maison, incendiant leur biens, tuant 7 personnes pour exposer leur cadavres publiquement et emmenant d’autres personnes près du fleuve pour leur tirer une balle dans la tête avant de les jeter à l’eau. Ce massacre, commis avec la complicité de la force publique, reste à ce jour encore impuni.

“PAIX. Chaque survivant de la violence a un esprit fort et unique, ils sont comme le phoenix qui renaît de n’importe quelle défaite.”

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