Panama “Pour le plus grand bien du monde”

Etoile de mer dans les eaux turquoises de Bocas del Torro.

Avant de traverser le Panama, nous ne savions pas grand-chose du pays. Pour ma part, juste des restes de mes cours d’histoire sur les déboires français lors de la tentative de construction du canal en 1880 et le scandale des « paradis fiscaux » lors de la publication des fuites « Panama Papers »*. Mais comme partout où nous passons avec un peu de réticence a priori, nous sommes agréablement surpris et charmés.

Pour pouvoir rentrer au Panama, il faut pouvoir présenter un billet d’avion de retour. Daniel explique que nous sommes à vélo et que nous ne voulons pas prendre l’avion pour repartir.

Nous entrons au Panama par la frontière moins fréquentée côté Caraïbes, dans le département de Bocas del Torro. Après 30 kilomètres sur une route aux montées bien trop inclinées, nous arrivons à Almirante tout juste pour prendre un petit bateau à moteur qui nous emmène sur les fameuses îles de Bocas del Torro. Très connues, elles sont très touristiques. C’est toujours la période des grandes vacances au Panama et avec l’afflux des touristes étrangers, nous avons du mal à trouver à nous loger. Mais c’est le cliché des Caraïbes avec des plages de sable blanc, des eaux turquoises, et même des étoiles de mer.

Sur la plage de Red Frog.
Le port d’Almirante appartient à la multinationale fruitière “Chiquita”, qui a la main sur les bananes et bien d’autres choses, partout présente en Amérique centrale.

De retour sur le continent, notre premier constat du Panama est de découvrir un pays où de nombreuses origines ethniques sont mélangées et notamment des afro-descendants, des indigènes et des chinois qui tiennent les commerces. Et c’est ainsi sur toute la côte caribéenne. Après une nuit passée à la caserne des pompiers, nous descendons vers le sud en suivant la côte. Les montées-descentes se suivent et pas vraiment en douceur.

Petit magazin de campagne en terre indigène.

Nous traversons de nombreuses communautés indigènes aux enfants très curieux. Dès que nous nous arrêtons quelque part pour pique-niquer ou boire quelque chose de frais, un petit groupe d’enfants nous entourent très vite, regard interrogateur, fascinés par notre attirail et surtout par les enfants dans le chariot.

Une bande d’enfants intrigués par Mika et Marla dans le chariot
Marla et Mika testent la canne à sucre.
Les enfants nourrissent les poules dans la “finca” de Charlie.

Charlie, le premier « warmshower » chez qui nous dormons depuis le Guatemala, nous reçoit chez lui en nous offrant un jus de canne qu’il vient tout juste de presser. Il est nord-américain mais vit au Panama depuis de nombreuses années, ne boit jamais d’eau, rien que de l’eau de coco et du jus de canne à sucre qu’il récolte dans ses « fincas ». Justement, nous nous arrêtons camper dans l’une d’elles en échange de nourrir ses poules et déblayer les pieds des cocotiers.

Au Panama pas de surprises, 400 mètres avant chaque montée hors norme, la couleur est annoncée.
Préparation du “yuca” (manioc) avec notre petit camping-gaz.

Depuis la maison de Charlie jusqu’à son terrain, il y a à peine 11 km, mais nous y arrivons après plus de deux heures, car la grande montée commence et il nous a fallu pousser les vélos. Une petite mise en bouche de ce qui nous attend le lendemain pour gravir la “sierra”, avec des pentes très inclinées.

Petit défilé de colines avant d’attaquer la traversée de la Cordilière Centrale.

Heureusement, plus nous montons et plus le ciel se couvre. Nous souffrons donc moins de la chaleur, que de l’effort physique. A peine 24 km parcourus en 3h45 de vélo et plus de 8 heures passées sur la route, pour arriver au barrage de La Fortuna où le garde nous permet de camper dans la petite maisonnette destinée aux touristes pour vanter les mérites de l’entreprise hydro-électrique.

Le barrage de La Fortuna.

Nous sommes accueillis par les vendeurs ambulants de fruits et légumes qui travaillent à ce point d’arrêt. Un pick up rempli de noix de coco s’arrête pour nous offrir de l’eau de coco. Le chauffeur nous ouvre le haut de la noix avec la machette pour que nous puissions boire le jus. Chaque coco compte au moins 700 ml d’eau, et nous en avons 3. Il nous les ouvre ensuite en deux pour manger la chair. Super rafraîchissant et très nourrissant.

Camping en cabanon touristique, pour changer.

Le lendemain, tout le monde croisé sur notre route nous met en garde sur le « menton du diable », la partie de la Sierra où le vent souffle terriblement fort. Et c’est vrai. Tellement fort qu’alors que nous attaquons la descente tant attendue, je dois descendre de mon vélo pour ne pas tomber. Daniel lui, comme toujours, gère l’affaire.

“Quijada del diablo”, le menton du diable où le vent souffle violemment.

Nous venons de perdre la vue sur les Caraïbes et gagnons celle sur le Pacifique. La végétation change du tout au tout. Nous passons de la forêt humide et verte de la côte Atlantique, à la forêt de nuage au sommet, à une végétation beaucoup plus sèche.

En chemin vers la plaine côté Pacifique.

Lorsque nous arrivons en plaine, nous faisons le même constat qu’au Salvador, Nicaragua et Costa Rica. La côte Pacifique est aride, pas une goûte de pluie, des rivières asséchées ou au niveau très bas, des arbres qui ne sont plus et de vastes champs de monoculture (cannes à sucre, Teck). A Guacala, alors que nous nous apprêtons à camper sur les bord d’un petit canyon, l’alarme du barrage hydro-électrique d’à côté retenti. Des policiers effectuant leur ronde nous demandent d’évacuer. Nous nous exécutons à reculons, l’endroit était super, le soleil presque couché et nous étions en train de cuisiner. Nous nous rabattons donc sur la caserne des pompiers du village qui nous accorde l’autorisation de camper à côté de leur camion.

Les deux grandes passions de Mika : le balai et les camions. Ici, à la caserne des pompiers de Guacala.

Nous rejoignons ensuite l’autoroute interaméricaine, agréablement surpris du trafic raisonnable qui y circule et de pouvoir rouler presque tranquille sur la bande d’arrêt d’urgence. Bien sûr, quand il est possible, nous bifurquons sur une petite route qui se rapproche de l’océan Pacifique. Et alors là, c’est presque une piste cyclable qui mérite bien son classement au top 10 des routes à vélo sur le continent. Les voitures sont peu nombreuses à y rouler, les arbres sont présents et le paysage de campagne est bucolique. Nous traversons des petits villages comme nous les aimons. Comme partout en Amérique Centrale, dès que nous demandons l’autorisation de camper sur un terrain, on reçoit une réponse affirmative.

Nous rencontrons de nouveau des cyclovoyageurs, après un hollandais, ce sont deux français qui remontent l’Amérique centrale.

Lorsque nous retrouvons la Panaméricaine, il y a déjà plus de trafic, on sent qu’on se rapproche doucement de la capitale Panama. Pourtant, on y trouve aussi des côtés positifs puisque les aires d’autoroute se font de plus en plus modernes. Nous campons à plusieurs reprise sur l’herbe derrière les stations service profitant des toilettes, de la douche, d’Internet, de l’électricité et même de la machine à laver, WC pour enfants et aire de jeu. En effet, il fait toujours tellement chaud qu’après quelques jours de camping dans le terrain de personnes dont nous ne voulons pas abuser de l’hospitalité, jouir d’un accès à l’eau et à des toilettes sans avoir à demander la permission auparavant est un petit luxe qui nous réjouit.

Sur l’interaméricaine.
Camping sur le terrain derrière une station service.
Levé de soleil sur une aire d’autoroute.

Depuis que le cuisinier du restaurant où nous avons posé la tente, nous a chanté la sérénade avec une belle voix de ténor à la Andrea Bocelli, Mika pousse régulièrement la chansonnette depuis son chariot, quand on roule. Il invente des paroles, la plupart du temps en espagnol, nous animant le voyage. « Corazón te quiero » (mon cœur je t’aime) ou « es mi vida, mi vida » (c’est ma vie, ma vie) sont des vers qui reviennent régulièrement.

Le propriétaire du terrain sur lequel nous campons, nous cueille des oranges avant de monter au cocotier pour nous offrir des noix de coco. Pendant ce temps, je prépare le dîner.

Nous avons loupé la venue du Pape dans le pays pour célébrer les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) en janvier, mais nous continuons de voir les traces de la fête sur les murs des maisons, des Eglises, les paquets de gâteaux, les boissons et même les Balboa, la monnaie du Panama. Ici, on paie en dollars américains, mais le pays fabrique aussi ses propres pièces de monnaie (pas les billets) qui circulent au milieu des pièces en dollars US. Certains Balboa ont donc été marqués du sceau des JMJ 2019.

Embarquement pour la traversée du lac Gatún qui fait parti du Canal de Panama.

A moins de 50 km de la capitale Panama, nous prenons une petite route de campagne pour rejoindre le lac Gatún. Ce lac est apparu dans les années 1910 lors de la construction du Canal. Il a inondé la forêt sur plusieurs centaines de kilomètres carrés. Quand nous le traversons en petit bateau à moteur pour couper la route, nous naviguons au milieu d’une forêt de bois mort. Notre capitaine doit manœuvrer avec beaucoup de précaution pour éviter les troncs qui dépassent à peine de l’eau.

Traversée du lac Gatún au milieu des troncs d’arbre dont la majorité émerge à peine de la surface de l’eau. Concentration maximale du capitaine qui réussi avec brio le slalom.
Daniel monte la tente pendant que je change ma chambre à air sur le terrain de foot d’Escobal.

Nous passons la nuit dans la ville d’Escobal sur le terrain de foot juste en face du poste de police. Quand nous demandons l’autorisation d’utiliser les toilettes au policier, nous nous souviendrons qu’il est toujours préférable d’éviter ces endroits. Alors que je n’avais pas remarqué, Marla me demande pourquoi il y a un homme par terre juste en face de la porte des WC. Effectivement, le cachot dont la porte et le cadenas sont rouillés et qui m’avait d’abord fait pensé qu’il était hors d’usage, est toujours en service. Par terre, un homme est couché, visage tendue vers la toute petite ouverture à même le sol, peut-être pour tenter de prendre un peu d’air frais. Une vision et des questions des enfants qui ne me mettent pas très à l’aise. Ce n’est pas la première fois dans le voyage où nous aurons à expliquer aux enfants que tout ce que fait la police et les militaires n’est pas toujours très « gentils ».

Entrée côté Atlantique du Canal de Panama, au passage incessant des porte-conteneurs.

On remonte alors vers la mer. Nous roulons à côté d’une zone naturelle protégée où des panneaux nous indiquent de ne pas entrer en raison de munitions non-explosées. Peut-être un reste de la présence étatsunienne qui occupait les lieux et tout le pourtour du Canal jusqu’en 1999 ou bien de l’opération militaire des Etats-Unis au Panama nommée “Juste Cause” et qui fit quelques milliers de morts, en 1989-1990.

Un ferry relie les deux rives en attendant que le pont soit mis en service.

Nous arrivons enfin à l’entrée côté caraïbe du fameux Canal de Panama. Le pont de l’Atlantique est en construction. Il nous faut donc rejoindre l’autre rive en bateau. Nous sommes avec les voitures, les bus et aussi les militaires. De l’autre côté nous faisons une pause déjeuner. Il fait toujours extrêmement chaud. Mais nous avons le loisir d’observer les énormes bateaux porte-conteneurs qui traversent le canal. On se sent à un point stratégique du commerce international. La devise du Panama qui tend à résumer l’histoire du canal en particulier et du pays en général : “Pour le plus grand bien du monde”, nous revient alors en mémoire.

A l’entrée de Porto Belo, les restes des fortifications espagnoles pour contrer les attaques de pirates des Caraïbes .

L’un des capitaine qui fait la traversée entre les deux rives du Canal, nous offre cookies, crackers et jus de fruits frais. Bien nourris, nous repartons, pour traverser la ville de Colòn pas trop tard. En effet, cette ville portuaire a très mauvaise réputation. C’est notamment une des portes d’entrée pour toute marchandise venue depuis la Colombie, légale ou pas. Nous décidons donc de pousser plus loin pour atteindre la côte et camper sur la plage. Arrivé.e.s à Porto Belo, nous nous mettons à la recherche d’un voilier ou d’un catamaran qui pourrait nous emmener jusqu’à Cartagena en Colombie. En effet, il n’y a pas de route reliant le Panama à la Colombie. Pour se rendre au sud il faut soit prendre l’avion, soit le bateau. Nous rêvons de bateau.

En attendant de passer de l’autre côté du continent.

*Pour en savoir plus sur les “Panama papers”, vous pouvez lire « Le secret le mieux gardé du monde » de Bastian Obermayer et Frederik Obermaier.

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